David Cranf nous offre son nouveau clip, "L'Opalka", qu'il a réalisé lui-même avec la complicité du photographe arrageois Gildas Lepetit-Castel et de Sébastien Royer. On y entend deux voix à l'unisson, celles de David et de Katrin’ Waldteufel, un duo qui chante l'éphémère, la mythologie, l'énigme de la vie.
On aime particulièrement ce titre pour sa musicalité, la recherche de timbres et le foisonnement des arrangements qui trouveraient facilement leur place dans les génériques de fin des films français des années 70.
David a bien voulu répondre à nos questions.
L'Opalka est ton nouveau single. Il dresse le portrait d'un artiste conceptuel. Il semblerait que tu ériges un bestiaire musical. Peux-tu nous en dire plus sur les personnes/personnages dont tu parles et que tu mets en lumière ? Qu'est-ce qui t'a donné envie de parler d'eux ?
Le titre évoque en effet l’artiste conceptuel Roman Opalka. Son œuvre la plus fameuse l’a conduit à photographier son visage chaque jour avec le même cadrage pour voir le ravage du temps. Mais la référence s’arrête au titre. La chanson évoque la question posée par la sphinge à Œdipe, l’histoire de l’animal qui se lève à quatre pattes, etc. De ce point de vue, le sujet est très classique, même académique ; il rappelle le genre pictural des « vanités » - tu sais, les tableaux avec tête de mort, clair-obscur et joli drapé. « Poussière, tu n’es que poussière ». Bref, un truc super festif, ainsi que mon public en a l’habitude ;)
La vérité de ce titre, c’est l’histoire de mon père, qui a perdu la vue, puis la vie à cause du diabète. Tu me croiras ou pas, le texte a été écrit un an avant son départ et annonce très précisément ce qui l’emportera… Je n’en reviens toujours pas moi-même. Cette préscience… C’est très déstabilisant pour un type aussi rationnel et athée que moi.
Dans les paroles comme dans le clip, il y a un narrateur et il y a son destin, qui est un personnage à part entière : la sphinge. Industrial Light & Magic m’avait supplié, tu sais, pour faire des effets spéciaux numériques, mais j’ai préféré décliner… Plutôt que d’incruster une 3D façon Avengers, j’ai invité une styliste de Béthune, Naïké Louchart, à figurer ce personnage dramatique à l’écran. Elle n’a ni ailes, ni queue de lionne, ni oreilles pointues, mais porte ses créations : une robe « Olympe » splendide et, surtout, un bijou de visage totalement sidérant.
On a connu un David Cranf radical, un peu freak ; aujourd'hui on sent une évolution dans la manière d'aborder ta musique. De la radicalité, toujours, une richesse dans les arrangements aussi, et des sons très actuels. D'où vient cette transformation ?
Je suis un équilibriste. Des deux côtés de la perche, il y a ma bizarrerie très personnelle et l’envie folle de partager des émotions avec les gens. Tomber dans la bizarrerie, c’est clivant, parce que la majorité sera déboussolée. Tomber dans la quête de partage, c’est faire une musique candide, ce qui n’est pas trop le genre de la maison… L’évolution dont tu parles, c’est de me dire : reste original, mais sois moins étrange, c’est ce que j’essaie de faire (je t’avais pas dit ça sur un parking ?).
Dans ma bizarrerie, il y a des trucs valables artistiquement, d’autres beaucoup moins. Ce que je trouve toujours valable, c’est le côté décalé, mon personnage un peu belge ou anglais, pince-sans-rire, pourvoyeur d’une « inquiétante étrangeté ». Ce que j’assume moins, c’est le côté néo-dada : Philippe Katerine a fait une OPA là-dessus, y a plus de place !... Le côté « freak », comme tu dis, venait de là, de mon goût pour l’absurde, la pataphysique, le dadaïsme, etc. En rupture avec ça, mes dernières chansons sont des portraits, j’en ai marre de cette tendance à faire le pitre, car je veux faire de la musique, pas du théâtre (ou, pire, de l’« art contemporain » au Bon Marché ; MDR).
La radicalité du projet n’est pas touchée par ça, car elle pousse dans le terreau de mes textes, conçus comme du papier de verre à écorcher les certitudes toutes roses. La flamboyance des arrangements n’est pas touchée non plus, car, enfant des 70ties, j’aime la musique orchestrée : la nature a horreur du vide, et moi aussi. C’est donc plus au niveau de la musique que ça s’adoucit… Dans le choix des chansons, dans l’invitation de différents instrumentistes sur scène, dans le fait d’assumer – au fond – de faire de la chanson française. Faut que je fasse le deuil de ma petite carrière dans la techno aussi, car c’est vieux tout ça maintenant… Ce qui vit en moi aujourd’hui c’est une chanson électro, mais d’abord chanson.
On te sait érudit tant avec ta culture musicale et visuelle. Cela est traduit dans ton clip "L'Opalka". Peux-tu nous en dire plus sur sa réalisation ? Les lieux de tournage ? Les collaborations ?
« Érudit » ?! Ça y est je suis tout rouge ! Bravo… J’ai jamais travaillé avec autant de personnes que sur ce titre. La pochette est signée Éloïse Oddos de Nantes, qui récidive après celle de l’album « Le Filtre ». J’ai invité le batteur Julien Mahieux des Yokatta Brothers (blues) à enregistrer au studio du Bras d’Or de Boulogne-sur-Mer avec Bruno Dupont. La basse et la guitare électrique ont été assurés par ma complice Betty Patural de Lausanne (membre du duo féminin trip-hop Sainte-Aube) rencontrée au Canada. J’ai enregistré mon Rhodes (1976) et ma voix.
Et puis, je suis en duo vocal avec Katrin’ Waldteufel (Cello Woman) que je considère un peu comme ma marraine musicale. J’ai fait sa première partie en novembre 2018 lors de mon premier vrai concert de « David Cranf ». Un toï-toï plus tard, on a gardé le contact. Quand L’Opalka est venue, j’ai rapidement pensé à elle pour qu’elle apporte le clacissisme que je recherchais pour ce titre.
Le clip a été tourné dans les Alpilles pour l’essentiel avec Sébastien Royer, avec qui j’ai co-développé l’application Dadacid qui diffuse ma musique en streaming. J’avais très soigneusement repéré des spots de tournage à distance. Je suis resté là-bas une semaine à bouffer des kilomètres avec une voiture de location pour faire le grand écart entre les Alpes du sud et la région d’Avignon. Une odyssée, c’est le cas de le dire ! Les scènes avec Naïké ont été tournées à Wimereux dans les dunes de Slack. Les intérieurs ont été réalisés par l’incroyable photographe Gildas Lepetit-Castel à la Manufacture Chanson de Paris.
Peux-tu nous partager trois découvertes musicales qu'il ne faut absolument pas manquer ?
En dehors de Katrin’ Waldteufel, Sainte-Aube et Yokatta Brothers, voici mes recos du moment. « BRAT » de Malvina, c’est totalement barré, féministe, avec un son à se claquer la tête contre les murs. « L’Écureuil » d’Ozibut, mon pote électro-punk, dont j’ai assuré le remix récemment (de l’écureuil, pas de mon pote). Et, pour finir, « Agoraphobe et Nyctalope » de Boule (son site internet est https://sitedeboule.com/, bien évidemment… mais pour tous publics).
Brat, Malvina
L'Écureuil, Ozibut
Agoraphobe et Nyctalope, Boule
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